J’ai déjà dans un précédent article soulevé cette épineuse question.
Cette question divise le monde en deux catégories: ceux qui la posent et ceux à qui on la pose! Je fais clairement partie de cette deuxième catégorie…. En général, ceux de la première catégorie répondent, au moins pour eux-mêmes: à rien. (Bon c’est sans doute un peu plus compliqué que ça…En même temps, il est amusant de remarquer que les jeux mathématiques provoquent parfois un engouement énorme. Il suffit de penser aux sudokus, au rubiks’cube ou bien au jeu 2048.)
Au début de ma carrière de professeur, je bottais en touche. Je répondais soit « à rien » par provocation, soit « à quoi sert la poésie? Les maths ne sont ni plus ni moins utiles », essayant de placer le débat du côté de l’art, « soit à vous casser les pieds » pour clore la question. Avec une pointe d’agacement, de désapointement, d’angoisse un peu aussi. Parce que je faisais- j’étais jeune alors- de cette remise en cause une affaire personnelle. C’est inconfortable d’avoir à se justifier sas cesse et d’avoir l’impression de faire souffrir les élèves -pour rien en plus, ou pour de mauvaises raisons (la voie « royale » en France, malgré les diverses réformes, reste toujours celle où il y a le plus de mathématiques.)
Puis j’ai décidé d’affronter sérieusement la question, et surtout d’entendre la souffrance qu’elle recouvre. En effet, je ne l’ai jamais entendu venant de quelqu’un qui réussissait bien en maths. Car toute réussite apporte du plaisir et contient presque sa propre justification. Ceux qui posent la question, le font souvent par dépit, pour conserver un peu de leur estime de soi. « Je ne réussis pas, je ne comprends pas, ce n’est pas grave, ça ne sert à rien! »
J’ai commencé à apporter des réponses rationnelles (on ne se refait pas. Les études de mathématiques ça marque à vie….). Pour faire des avions, pour construire des routes, des ponts, des immeubles, pour faire son budget, etc. Et de plus en plus avec les « nouvelles technologies » et les objets connectés qui ne nous quittent plus, les mathématiques sont effectivement indispensables.
Mais vient alors la vraie question: « A quoi ça me sert, à moi, là maintenant, tout de suite ». (Les jeunes ont du mal à se projeter dans l’avenir. La réponse « à faire les études qui te permettront d’avoir un chouette métier plus tard » ne passe pas en général.)
Et là, je me suis trouvée désemparée. J’ai du commencer un travail d’introspection, afin de proposer pour commencer mes propres réponses. En plus, c’est sans doute un comble, et c’est difficile à croire, mais je n’aime pas particulièrement les mathématiques. J’ai toujours, et sans réelles difficultés, réussi dans cette matière. Je fais des maths avec plaisir, mais pas spontanément. Par contre, quand pour des raisons extérieures je dois chercher un exercice ou un problème de maths, je me prends au jeu, et je ne lâche pas le morceau. Au final, ça m’amuse, mais pas dans le sens divertissement. C’est plutôt un challenge, ça me demande des efforts et ça m’apporte une satisfaction proportionnelle aux efforts. Si c’est trop facile ça m’ennuie, si c’est trop difficile aussi. J’aime me poser des questions, et j’aime trouver des réponses. J’y trouve un peu le même intérêt qu’à la lecture d’un roman policier.
Pendant quelque temps, j’ai résumé toutes ces sensations par la réponse « les maths, ça protège de la maladie d’Alzheimer en faisant fonctionner les neurones. » (Il n’y a rien de scientifique dans cette affirmation…) Mais, face à quelqu’un qui souffre des maths, cette réponse ne tient pas la route.
Puis j’ai été cherché des réponses du côté de la beauté et du mystérieux. La beauté des formes géométriques, des fractales, le nombre d’or, les beautés de l’aritmétique, les sommes infinies, les paradoxes.
J’ai cherché du côté du langage et de la poésie. Il n’y a qu’en maths où l’on peut trouver des disques dont chaque point est le centre, des portes à la fois ouvertes et fermées, des nombres amis, des nombres imaginaires, des matrices semblables qui ne se ressemblent pas, des mondes où deux droites parallèles se coupent…
J’ai cherché du côté de la logique et du raisonnement. Apprendre à raisonner, à tenir compte des hypothèses, à vérifier, à argumenter, tout cela me parait fondamental pour l’épanouissement de l’être humain. Une chose que je trouve particulièrement importante est l’absence de tricherie. L’honnêteté. La parole ne suffit pas, fut-elle éloquente. Il faut prouver ce qu’on dit. Nos politiciens gagneraient à avoir fait des mathématiques!
Je me suis aussi passionnée pour l’histoire des mathématiciens, et toute l’humanité qu’il y a derrière les concepts. Quand j’utilise le théorème de Pythagore, quand je démontre que π n’est pas rationnel, je me sens reliée aux humains qui nous ont précédé, et qui se sont posés les mêmes questions. Je me sens profondément humaine, et d’une belle humanité (un peu plus que quand je regarde les journeaux télévisés…) Les mathématiques sont une composante importante de la culture humaine.
Cette photo est un fragment original des éléments d’Euclide, trouvée sur Wikipedia. C’est émouvant quand on pense que malgré les siècles qui nous séparent, les préoccupations restent les mêmes.
Mon projet actuel, pour trouver des réponses à ces questions, est de rencontrer et faire parler des amateurs de maths, pour comprendre comment eux, ils vivent les mathématiques. Vous pouvez retrouver mes « portraits d’amateurs de maths » dans mon blog.
Et vous, quelles sont vos propres réponses?
Je suis tombée sur cet article initialement publié dans un journal australien qui apporte également quelques réponses intéressantes. C’est aussi amusant de constater que, de l’autre côté du globe, les problèmes sont les mêmes que chez nous.
Vous pouvez également consulter mes articles précédents dans lesquels j’explore aussi ces sujets: Blocages et psychopédagogie positive 1, 2 et 3.