Loin des idées reçues sur les classes préparatoires, Romuald mène une expérience originale à Tours. Cet enseignant de mathématiques en deuxième année de CPGE scientifique au lycée Descartes à Tours (37) prépare ses élèves aux concours d’entrée des écoles d’ingénieurs et des Ecoles Normales Supérieures, mais bien au-delà, il les prépare à la vie, et tente de leur transmettre de très belles valeurs. A ma connaissance son expérience est unique en classes préparatoires. (Je ne demande qu’à être démentie). Je vais d’abord vous présenter Romuald, puis j’exposerai brièvement ce qu’est la classe coopérative, et nous verrons en particulier comment il la met en place avec ses élèves.
J’ai rencontré Romuald au jury de l’Agrégation de mathématiques. En parallèle de son enseignement des mathématiques, il suivait un master de psychologie clinique, d’inspiration psychanalytique. Je m’intéressais déjà davantage à la psychologie qu’aux mathématiques, et nous avons très vite trouvé beaucoup de sujets de conversations.
Sa bio en bref
Après un baccalauréat scientifique passé à la fin des années 80′, même s’il aimait vraiment les lettres, Romuald a choisi de suivre une classe prépa scientifique. En terminale, il hésitait entre des études pour devenir ingénieur ou médecin psychiatre. (On peut remarquer qu’il n’est ni l’un, ni l’autre. Si c’était à refaire, il dit qu’il ferait peut-être des études de droit, « par goût de l’argumentation ».)
Même si sa scolarité a été réussie d’un point de vue académique, l’école (qu’il qualifie de « jungle »), l’enseignement et le rapport entre les élèves lui ont laissé peu de bons souvenirs : « Dans notre pays, on prend trop peu de soin des liens humains entre et avec les élèves. »
Ses classes prépas se sont déroulées au Prytanée National Militaire de la Flèche (72). Il y était nourri, logé, blanchi et recevait même de l’argent de poche, c’était là un moyen d’émancipation. Au cours de ces deux années, il a compris qu’il ne voulait pas être ingénieur, ni travailler pour une entreprise. Il a compris qu’il voulait être professeur. Il a donc intégré l’ENS de Cachan. Il ne regrette pas ce choix, car ce qu’il aime par-dessus tout, c’est « transmettre ». Il s’est fait une idée du métier de professeur en observant ses enseignants de CPGE dont les étudiants étaient si motivés. Il s’est dit que «travailler dans ces conditions devait être bien ».
Il est alors devenu enseignant en CPGE scientifique. Actuellement au lycée Descartes à Tours, en PSI*. Il se sent à sa place en tant que « transmetteur », et les maths lui conviennent. Ce qu’il aime dans les maths, c’est l’argumentation. Et comme je l’ai dit dans l’introduction, Romuald est également psychologue clinicien et exerce comme tel.
Ses souvenirs avec les maths
Il se rappelle d’un conte, tiré des contes du chat perché de Marcel Aymé. Le conte s’appelle justement Le problème.
Delphine et Marinette ont un devoir d’arithmétique à faire :
Les bois de la commune ont une étendue de seize hectares. Sachant qu’un are est planté de trois chênes, de deux hêtres et d’un bouleau, combien les bois de la commune contiennent-ils d’arbres de chaque espèce ?
Elles sèchent lamentablement dessus, leurs parents sont très en colère, et les animaux vont les aider, en comptant effectivement le nombre d’arbres du bois de la commune (en vrai). Le lendemain la maîtresse dit aux petites filles qu’elles se sont trompées. Mais de quel bois parle-t-on?
Dans ce conte se pose toute la problématique du sens, qui est source de nombreux blocages en mathématiques. (Le bois théorique de l’exercice versus le bois réel de la vie.)
Il a de très bons souvenirs des maths modernes enseignés, en particulier faire des calculs en base 2, 3, 4, etc. avec de petits élastiques et des paquets de petits morceaux de bois, puis des paquets de paquets, etc. « On faisait ça avec les mains ». On se rend compte que compter en base 10, c’est arbitraire, c’est parce qu’on a 10 doigts.
Je remarque que ce souvenir revient fréquemment parmi les personnes matheuses de cette époque, y compris moi-même. C’est un souvenir très joyeux. Moi je dessinais des points et je les entourais, etc. Le côté manipulatoire est assez jubilatoire justement.
En classe de 4ème ou 3ème, il a été fasciné par la découverte expérimentale que les nombres dont l’écriture décimale est périodique sont en fait des nombres rationnels (des fractions). Par exemple 1/7 = 0,142857142857142857…. (le motif « 142857 » se répète à l’infini. C’est ce qu’on appelle périodique). On le trouve dans ce cas en effectuant la division de 1 par 7, et quand on « retombe » sur un reste déjà trouvé, ça va se répéter. Cela marche de la même façon pour toutes les fractions. Et réciproquement? Saurez-vous retrouver la fraction qui se cache derrière 1,234234234234… ? En tout cas, Romuald a réussi à l’époque cet exercice, seul, et il a aimé ce jeu mathématique.
Un souvenir sympa avec ses élèves
Une anecdote de l’an dernier : il arrive le matin en classe et au tableau il trouve déssiné:
Petit décodage : X représente la prestigieuse « Ecole Polytechnique ». Le lycée Louis Le Grand situé dans le 5ème arrondissement de paris est LE lycée le plus prestigieux de France, qui concentre les « meilleurs » élèves, et qui truste la majorité des places aux concours. (heureusement qu’il y a plus de places que d’élèves de LLG…).
Ce message lui a permis de constater la confiance complice de ses élèves. En effet, comme il le dit : « Ce dessin est une blague joyeuse, et mes élèves savent en fait parfaitement combien il est difficile d’entrer à l’Ecole Polytechnique, mais il témoigne d’un objectif commun aux élèves et à leurs professeurs : les amener là où l’objet de leur désir se situe, symbolisé ici par cet X. »
Il y a aussi d’autres très bons moments avec ses élèves, comme le premier jour de l’année scolaire, où ils font une journée d’intégration, avec pique-nique dans les bois, course d’orientation… (Et ça je peux vous dire que ce n’est pas banal en prépa).
La classe coopérative
Justement, dans le genre pas banal, Romuald, depuis plusieurs années déjà, a mis en place avec ses élèves la « classe coopérative », selon les principes de la la Pédagogie Institutionnelle de Fernand Oury .
De quoi s’agit-il ? Il essaye de promouvoir l’entraide parmi les élèves, à l’aide de ce que Fernand Oury nommait des Institutions . Cette organisation est beaucoup plus efficace pour chacun, tout le monde s’y retrouve. Par exemple, ceux qui prennent le temps d’expliquer une notion rencontrée en classe s’entrainent aux concours (car c’est en expliquant que l’on comprend finement) et ceux qui écoutent progressent. Au passage, les étudiants apprennent aussi le management coopératif. Les Institutions sont là pour organiser la coopération entre les étudiants.
Organisation des devoirs
Les devoirs à la maison donnés sont à la fois classiques et assez difficiles, dans une classe destinée à préparer aussi les concours les plus prestigieux. Pendant une première phase, les élèves les travaillent individuellement, sans corrigé, puis pendant une deuxième phase avec le corrigé, pour aller au-delà du point où ils ont séché. Lors de la troisième phase, les étudiants s’échangent les copies par groupe de trois et se font des remarques sur diverses compétences (la présentation, la rédaction et l’argumentation). Romuald corrige ensuite des copies souvent très complètes, et où le retour des pairs produit, au fil de l’année, des progrès plus importants que par la seule critique du professeur.
Il ne met pas de notes aux devoirs en classe ! Alors ça, c’est ultra révolutionnaire en France. Il argumente en disant que quand on met une note, l’étudiant se focalise sur sa note et pas sur le contenu (C’est tellement vrai !). S’il notait comme aux concours (car son objectif et celui de ses élèves c’est la réussite aux concours d’écoles d’ingénieurs), les élèves auraient de mauvaises notes, puisque par définition, ils ne sont pas prêts en cours d’année. Or une mauvaise note, en pratique, c’est une copie qui n’est pas retravaillée. (Et donc ne sert à rien). Il veut éviter « le traumatisme de la mauvaise note » car il croit à la vertu des encouragements positifs.
Comment ça se passe concrètement ? Il organise ses devoirs surveillés le samedi matin, pendant quatre heures. Les élèves gardent leur copie à la fin de ce temps et repartent également avec le corrigé. Le samedi après-midi ou le dimanche, ils retravaillent leur copie pendant deux heures, en y ajoutant une pensée réflexive : Comment avez-vous abordé la question ? Auriez-vous pu faire mieux ? Qu’est-ce qui vous a manqué ? etc. Ils doivent de plus rédiger quelques lignes sur leur stratégie globale sur le devoir, et dire par rapport au devoir d’avant s’ils se sont améliorés, et en quoi. L’objectif c’est aussi de progresser sur la rigueur, sur l’argumentation. Lors de la correction qui suit lorsque les copies sont rendues le lundi, ce qui intéresse Romuald, au-delà du contenu mathématique produit, c’est la manière dont les étudiants analysent leur travail.
L’effet principal, c’est la libération ! Ils ne sont plus collés à la note et à l’erreur. Le moment des devoirs sert à quelque chose, ils prennent conscience qu’ils ont un rôle à jouer dans leur réussite, ils se prennent en main, prennent leurs études en charge. Un autre effet est que les étudiants retrouvent vraiment confiance en eux.
Et en même temps, Romuald les accompagne beaucoup, de l’été qui précède leur entrée en deuxième année, à l’été suivant, quand ils passent les oraux. Mais son objectif n’est pas simplement de leur apprendre à faire des maths, mais aussi de leur apprendre à travailler et à devenir autonomes. Il met l’accent sur le processus, largement autant que sur le contenu.
J’avais d’ailleurs pendant ma formation de coach pas mal réfléchi à la thématique du sens-contenu- processus. Voir mon article ici.
Organisation de la classe par les Institutions
Parmi les Institutions que Romuald a mises en place dans sa classe, figurent : les ABs, la Charte de tutorat, la Grille des comptes rendus de colle, les Examinateur/rices éphémères, le Registre du tableau, les Ceintures de compétences et de comportement, le TD de ceintures, la Boutique, Le Conseil coopératif, les Badges de cours, les Badges de méthodes…
Tous ces outils demanderaient chacun un article pour en détailler la fonction et son utilité, voici simplement, de façon succincte, quelques exemples :
Le Conseil coopératif
Tous les quinze jours, se déroule un Conseil coopératif, qui dure le plus souvent une demi-heure. Il y a un président de séance, un secrétaire. Le président est au tableau et distribue la parole. Il y a cinq rubriques à l’ordre du jour :
- Informations/questions
- Propositions
- « Métiers » (par exemple le « preneur de notes en TD » pour quinze jours)
- Critiques
- Remerciements/félicitations
Parmi les métiers, il y a donc « preneur de notes ». Celui qui prend les notes le fait aussi en pensant aux autres. Il y a aussi « arroseur des plantes » (il y a des plantes vertes dans la classe).
Les ceintures de compétences
Il y a 6 compétences à acquérir, qui sont elles-mêmes divisées en 5 niveaux « ceintures », (orange, bleue, verte, marron, noire). Les compétences sont
- Présentation
- Rédaction
- Argumentation, rigueur
- Cours et culture mathématique
- Savoir-être à l’oral
- Comportement, organisation et soin
Voici par exemple les niveaux de ceinture de la compétence « cours et culture mathématique »
Les élèves peuvent en particulier s’auto-évaluer dans un tableau informatique situé dans le drive de la classe. Les ceintures leur permettent de savoir où ils en sont, et aussi qui peut aider qui. Par exemple, quelqu’un disposant d’une ceinture bleue en argumentation va peut-être pouvoir aider quelqu’un d’une ceinture moins avancée.
Et les colles ?
En prépa, les colles sont des interrogations orales. Par groupe de trois, les élèves font des exercices au tableau pendant une heure avec un professeur, « un colleur ». Elles sont notées, c’est même une obligation administrative, et les élèves redoutent souvent ces moments. Romuald demande à ses colleurs de ne pas divulguer les notes attribuées, pour qu’ils insistent surtout sur les conseils utiles pour progresser à l’oral. De plus, les élèves font des comptes-rendus de colle pour les mathématiques, les font relire par d’autres, avant de les confier à la lecture finale et la correction de leur professeur.
Coopération : les ABs
Chaque élève dans la classe se choisit un ou plusieurs « ABs ». (AB=Accountability+buddies, c’est à dire « camarades responsables »). L’idée c’est d’avoir des camarades qui peuvent aider à se fixer des objectifs et à les atteindre (des coachs en quelque sorte).
Comment la classe coopérative est perçue par les collègues et l’institution ?
L’association Coopérer pour l’Autre.Lycée, dont il est membre fondateur, propose à Tours de très nombreuses occasions de réfléchir et de se former aux pédagogies coopératives. Le Pôle ressource de cette association, unique en France, est même hébergé par le lycée Descartes. Ces pratiques alternatives, bien accueillies dans l’enseignement secondaire, peinent un peu à se diffuser en CPGE, mais Romuald ne désespère pas que ses collègues finissent par en voir les bénéfices.
Du reste, la Direction du lycée Descartes, Proviseur et Proviseur-Adjoint, soutiennent activement les activités de l’association Coopérer pour l’Autre.Lycée. Des Inspecteurs Généraux de l’Education, du Sport et de la Recherche se sont déplacés pour voir fonctionner cette classe coopérative en CPGE.
Conclusion
Romuald aime transmettre. Le message qu’il aimerait que ses étudiants retiennent, c’est que pour apprendre, il faut accepter ne pas savoir et avoir une certaine humilité. Or, le message véhiculé dans l’enseignement français est parfois un peu opposé : on devrait déjà savoir avant d’avoir appris. Il apprend à ses étudiants à progresser les uns avec les autres, et cela donne tout son sens à son travail.
Si vous souhaitez en savoir plus et – pourquoi pas ? – essayer d’obtenir davantage de coopération dans vos classes, vous pouvez écrire à Romuald à l’adresse : classe.de.psi.etoile@gmail.com . En effet, la coopération, ce n’est pas qu’entre les élèves…