Je déteste le calcul mental.
Enfin, plus exactement, quand je dois faire un calcul en public, mon cerveau se bloque et mes tables de multiplication s’envolent. Même parfois une simple addition. Au restaurant, partager de tête l’addition est une situation très inconfortable pour moi. Le problème c’est que je suis agrégée de maths !!! Donc en général, au restaurant, c’est « tiens toi la matheuse, combien ça fait par personne ? ».
Pendant des années, j’ai essayé de défendre une vision différente des maths. « Les maths ce n’est pas du calcul ! » D’ailleurs, dans mon quotidien d’enseignante, j’avais très peu de calculs de ce genre à faire. Des calculs oui, mais plutôt du genre calcul d’intégrales avec plein de lettres partout.
Donc, pour rassurer mes futurs clients, oui je sais calculer, mais avec un papier et un crayon, et au calme, parce que dans ma tête je ne vois rien, et j’ai besoin de poser les calculs. Je sais également quel calcul il faut poser. Je compte parfois sur mes doigts, d’ailleurs je vous renvoie sur un ancien article du blog, en particulier cette vidéo fabuleuse où l’on s’aperçoit que calculer sur ses doigts est tout un art !
Pour les tables de multiplication, j’ai trouvé un truc pour me rappeler 6 x 7, et pour les autres je me débrouille en décomposant. (Mon truc c’est « Dieu a crée le monde en 7 jours, non en fait 6 parce que le 7ème il s’est reposé, et 42 c’est la Réponse Ultime à toutes les questions de l’Univers, le sens de la vie et le reste. Donc 6 x 7=42. C’est peut-être un peu space, mais en tout cas ça marche !)
Dans cet article, je parle du calcul, de tous les calculs, avec des chiffres, avec des lettres, mentaux, avec les doigts, avec du papier… Pas simplement du calcul mental, qui est juste la partie la plus spectaculaire… Il y a vraiment des calculateurs prodiges, voir mon article sur Daniel Tammet, je trouve ça épatant, mais on peut très bien réussir et prendre du plaisir à faire des maths sans être excellent en calcul mental. J’en suis la preuve vivante. Au passage, il serait bon de comprendre que tout le monde ne fait pas la même chose dans sa tête, (certains sont très visuels et « voient » les calculs s’écrirent dans leur tête) et de cesser de considérer le calcul mental comme la meilleure façon de procéder. Il s’agit de considérer les différentes intelligences et les différentes caractéristiques de chacun (visuel, auditif, kinesthésique…)
Dans la fin des années 1990, le développement des calculatrices et des logiciels de calcul formel, a mené à deux excès contradictoires :
- Le calcul, à tous les sens du terme, avec des nombres ou avec des lettres, a été considéré comme « accessoire », depuis au moins une dizaine d’années, par les inspecteurs, et un bon nombre de professeurs et a pratiquement disparu des programmes. En tout cas, il ne devait pas être évalué, ou pénalisant. C’était ringard (on a le même phénomène avec l’orthographe. On ne sanctionne plus les fautes d’orthographes). Je me souviens d’un Inspecteur Général venu rencontrer les professeurs du lycée Fermat, et devant leur plainte « les élèves ne savent plus calculer », qui avait répondu très sèchement, qu’il fallait tenir pour acquis que les élèves ne sauraient plus calculer, qu’il fallait distinguer la résolution de problèmes et le calcul, bref le discours à la mode.
- Inversement, un ministre de l’Education Nationale, à la même époque, géologue, et qui ne croit pas au réchauffement climatique, souhaitait supprimer l’enseignement des mathématiques parce que maintenant il y a des ordinateurs. Lui, il réduisait les maths au calcul.
Depuis, la France ne cesse de dégringoler dans les enquêtes PISA, TIMSS etc., le niveau mathématique des petits français baisse de façon inquiétante. On se penche en haut lieu sur l’enseignement des mathématiques. Le ministre Jean-Michel Blanquer a chargé Cédric Villani et Charles Torossian, deux mathématiciens, chercheurs, l’un devenu député, l’autre Inspecteur Général, d’une grande réflexion sur l’enseignement des mathématiques , qui doit livrer ses conclusions bientôt. Espérons qu’en sortira de bonnes idées, qui seront efficacement mises en œuvre…
Depuis trois ans que j’accompagne toutes sortes d’élèves, de la sixième aux classes préparatoires, je constate qu’il y a un ENORME problème avec le calcul. Ce que les élèves expriment par « je fais des fautes d’étourderies », mais qui sont en fait d’une autre nature.
J’ai repéré trois genres de problèmes :
- Incompréhension de la nature, de l’identité, des objets manipulés. En fait, pour la plupart, les nombres « entiers naturels », (0,1,2,…) sont compris, (ce n’est pas pour rien qu’on dit naturel), les nombres entiers relatifs (-1,-2,…) à peu près, de manière plus floue, mais il y a vraiment un problème avec les fractions. Il y a également une incompréhension du signe -, ce qui est normal puisqu’on le découvre avec -1,-2,.. et ça reste la marque des nombres négatifs. Mais c’est aussi une opération, et aussi la marque du nombre opposé. Donc -x peut tout à fait être positif ! Les racines carrées, les puissances aussi sont incomprises et posent problème à bon nombre d’élèves.
- Mauvaise organisation des calculs : trop d’étapes à la fois, et justement, quand ça devient délicat on le fait de tête, on ne fait pas de sous calculs, on ne simplifie pas… On ne sait pas quelles règles on utilise (on fait « passer de l’autre côté »…) ou on utilise des règles inventées. Souvent aussi on ne connaît pas les règles (avec les puissances, les racines carrées, ce qui est en fait révélateur de l’incompréhension de ce que sont ces objets, comme je l’ai dit précédemment).
- On ne reconnaît pas la règle de calcul qui doit être appliquée. Par exemple, il est fréquent que les mêmes qui connaissent l’identité remarquable (a+b)^2, se mettent à écrire (x+2)^2=x^2+4, parce qu’ils ne pensent pas, ou ne reconnaissent pas la règle. Est-ce parce qu’ils ne savent pas posément chercher à quoi ça ressemble et quelle règle on applique, qu’ils sont en mode « stress » et écrivent n’importe quoi ? Est-ce que parce que réellement ils ne font pas le lien ?
Pourquoi savoir faire des calculs est important ?
- Tout d’abord, pour faire correctement des mathématiques. Savoir reconnaître une règle, est fondamental pour faire correctement des exercices de mathématiques. Cela permet de développer les compétences pour les idées face à un exercice. Pour « penser » à un théorème qui va nous aider à résoudre l’exercice. Le grand problème des élèves, de tout âge, c’est « je comprends le cours mais je ne sais pas faire les exercices. Je n’ai pas d’idées. » Or, comment développer cette capacité à « avoir des idées » ? Il faut apprendre à chercher les indices dans l’énoncé. Bien souvent, c’est un indice de « forme ». Par exemple la question commence par « montrer qu’il existe un réel c tel que … » ressemble à la conclusion du théorème de Rolle. Donc, c’est une piste pour chercher. Ou plus simplement, si on a dans l’énoncé « soit ABC un triangle rectangle », il faut absolument penser au théorème de Pythagore. A cette question « mais comment on a les idées », est-ce qu’il ne faudrait pas commencer par avoir les idées sur « comment faire un calcul avec des fractions » ?
- Apprendre à faire des calculs correctement, c’est-à-dire en sachant exactement quelle règle on utilise à chaque étape, en allant vérifier dans un formulaire, en faisant des allers-retours permanents entre les règles, écrites avec des lettres, et qu’on applique avec des nombres ou d’autres lettres, avoir le souci de justifier, être sûr que ce que l’on fait est juste, c’est fondamental en mathématiques, et c’est le même mouvement que l’on fait en permanence, à tous les niveaux. Les règles deviennent plus compliquées, on appelle ça des théorèmes. Mais c’est la même chose. Je crois vraiment, avec l’expérience des élèves que je reçois dans mon cabinet, que s’entraîner sur des calculs « avec des nombres », et surtout, sans machine à calculer, permet de développer ces compétences.
- Mais cette activité apporte aussi sur le plan du développement personnel, en dehors des mathématiques. Elle développe le sens de l’organisation, la capacité à décomposer les problèmes sen sous problèmes, à procéder étape par étape, et surtout, elle développe la confiance en soi. Faire un calcul juste, et être certain qu’il est juste, sans avoir besoin qu’il soit validé par un tiers, est extrêmement gratifiant ! Quand on fait un calcul, à part dans la phase purement technique d’acquisition, est toujours fait dans un but. Et donc se poser la question de « pour quoi, je fais ce calcul, qu’est-ce que je veux en déduire après ? », permet d’apprendre à réfléchir au but de nos actions.
Et puis, c’est grâce à des calculs que l’on arrive à produire ces images fabuleuses!
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