Le film
C’est un film d’Anna Novion, sorti le 1er novembre 2023. Les mathématiques sont à l’honneur dans ce film, ce qui est rare. Pour autant, ce n’est pas un film pour mathématiciens, même si évidemment, ils y seront particulièrement sensibles. En tout cas, pas besoin de s’y connaître en maths.
La protagoniste principale de ce film, est Marguerite, élève de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, en thèse avec Laurent Werner, mathématicien émérite, mais peu humain, c’est le moins qu’on puisse dire.
L’histoire de Marguerite et des mathématiques n’est pas sans rappeler celle d’Andrew Wiles , qui à l’âge de 10 ans, avait décidé de résoudre la conjecture de Fermat (il y est d’ailleurs parvenu en 1994). Marguerite, elle, a décidé à l’âge de 10 ans, de s’attaquer à la conjecture de Goldbach.
Cette conjecture, faite en 1742 par Christian Goldbach, mathématicien allemand, est simple à énoncer. Pourtant elle résiste toujours ! Ce qui fait que c’est, à l’heure actuelle, la plus vieille conjecture non résolue.
La conjecture de Goldbach
Christian Goldbach pense que tout nombre pair supérieur ou égal à 3 est la somme de deux nombres premiers. 4 = 2+2, 6=3+3, 8 = 3+5, 10 = 5+5, 12 = 5+7, etc. Jusqu’à présent, on a pu le vérifier par ordinateur pour tous les nombres pairs jusqu’à 4 x 10^18 (4 suivi de 18 zéros).
La représentation graphique de cette conjecture (qui joue un rôle crucial dans le film, le dessin) est la suivante.
Les protagonistes principaux du film
J’ai d’abord trouvé le personnage de Marguerite un peu caricatural. La « première de la classe », solitaire, mal dans sa peau, qui se balade en chaussons. mais finalement, au cours du film, je m’y suis attachée. Elle est fragile, car souvent incomprise et rejetée, et en même temps forte. Elle n’a pas de préjugés. Elle est interprétée Par Ella Rumpf, et chapeau la prestation d’actrice.
Au cours d’une présentation de son travail de thèse, elle se prend « une claque » et décide de tout abandonner. Mais les mathématiques la rattraperont…
Ce qui est émouvant dans ce film, c’est à la fois la transformation intérieure de Marguerite, qui va s’ouvrir aux autres, et également apprendre à travailler avec d’autres (un autre en particulier, un jeune mathématicien comme elle, Lucas, interprété par Julien Frison), ainsi que la part belle faite à la mise en scène de la créativité en mathématique. Ce n’est pas si facile, et c’est particulièrement réussi.
Marguerite, enfant, avait du mal à trouver le sommeil parce qu’elle était effrayée par l’infini, et le chaos. Pour elle, faire des mathématiques l’aide à mettre de l’ordre. Ce qu’elle dit à ce sujet est très beau, malheureusement je n’ai pas retenu les termes exacts. Ou heureusement, comme cela vous aurez le plaisir de le découvrir.
L’autre protagoniste du film, à mes yeux, c’est l’écriture mathématique. Elle est partout, envahit les murs et les fenêtres et même au-delà. Elle devient obsédante et magnifique. Cela me conforte dans mes recherches graphiques et artistiques sur l’écriture mathématique. En voir plus sur mon autre site, www.agnesrigny.fr.
Le jeune mathématicien qui après avoir été à l’origine de sa chute, deviendra son comparse et admirateur est quant à lui un personnage plus équilibré que Marguerite . Il aime les maths, joue de la musique et a des relations plus épanouies avec les autres. Alors que le professeur Werner (interprété par Jean-Pierre Daroussin, excellent) et Marguerite aussi au début, donnent une image des mathématiques comme froides et désincarnées, Lucas lui, met en avant leur humanité. Il a besoin de lien humain pour pouvoir faire des maths.
Maths et créativité, les deux faces d’une même pièce
Ce film donne à voir le travail de création des mathématiciens, qui finalement rejoint tout travail créatif. C’était également le propos très réussi du livre Mathematica de David Bessis, que je vous recommande.
Et mention spéciale à la colocataire de Marguerite, Noa, (interprétée par Sonya Bonny), jeune danseuse de hip hop, fêtarde et sensible. Les univers si différents de Marguerite et de Noa finalement se rejoignent dans la poésie, et chacune est fascinée par l’autre et elles se transforment mutuellement.
La chercheuse Ariane Mézard a été la conseillère mathématique de ce film, ce qui fait que pour une fois, les symboles mathématiques que l’on voit sont authentiques (même si cela n’a d’importance que pour les spectateurs mathématiciens). Elle a également formée les trois acteurs à « parler maths » plutôt correctement, et ce n’a pas dû être facile pour eux. Ils s’en sortent remarquablement.
Le plus beau et mystérieux, c’est qu’Ariane Mézard, qui fait elle-même des recherches sur la conjecture de Goldbach, a fait des avancées significatives dans son travail pendant la réalisation du film, grâce au film.
Et ça, c’est quand même incroyable !