Portrait d’amateur de maths avec équation. 1

Publié le 02/10/2016

Portrait de François Henric

François fait des maths à Kampot
François fait des maths à Kampot, au Cambodge

 

 

François est né en 1958 et il a 58 ans. Déjà, coïncidence amusante pour quelqu’un de sensible aux nombres. Il est catalan. Peau très mate, cheveux très noirs, avec quelques discrètes apparitions de blanc par-ci par-là, il est calme et posé.

Ses parents étaient des gens plutôt pauvres. Son père était pêcheur, n’avait jamais été à l’école et ne savait ni lire ni écrire. Bien que français, il parlait très mal cette langue, et c’est en catalan qu’il parlait à François, qui lui répondait en français. Il avait laborieusement appris à écrire son nom. Sa mère, elle, a été à l’école jusqu’à douze ans. Le seul but de ses parents, était que leur fils unique « réussisse », à commencer par l’école.

Ce qu’il a fait. Il ne voulait ni être pêcheur comme son père, ni paysan comme sa mère, il était donc très motivé.

Il était sérieux à l’école et ça marchait. Il a aimé les mathématiques dès le début. Il a été au collège puis au lycée à Perpignan, puis après le bac, il est venu à Toulouse, au lycée Fermat pour suivre les classes préparatoires, pendant deux ans. Etre ingénieur ne lui convenait pas trop, (trop de physique), donc après il a enchaîné sur l’université, pour ne faire que des mathématiques. En classe prépa, la seule chose qu’il travaillait c’était les mathématiques. Tout le reste l’ennuyait.

Ses yeux pétillent quand il raconte que, quand il est arrivé à la fac, il n’a fait QUE des mathématiques, et ça c’était bien ! Il a passé le CAPES sans trop y croire, et l’a eu du premier coup. Ce qui fait qu’il s’est retrouvé professeur à 22 ans.

Aussi loin qu’il s’en souvienne, il aimait expliquer les mathématiques et voulait transmettre le goût des mathématiques. Il a toujours voulu être professeur.  Quand je lui demande s’il n’a jamais eu envie d’être chercheur, il sourit. « J’étais d’un milieu très modeste, et je ne savais même pas que ça existait. A l’université, personne ne m’en a parlé non plus. »

Il a été professeur pendant plus d’une vingtaine d’années.  A Saint-Etienne d’abord, en Afrique ensuite pendant deux ans, à Paris pendant huit ans, puis finalement à Toulouse, où il réside encore.

En 2004, il a décidé de changer complètement de métier. Dans son métier de professeur de lycée, ce n’était pas les mathématiques qui lui pesaient, mais tout le reste. Après s’être donné un an pour réfléchir à une nouvelle orientation, se rendant compte qu’il aimait les mathématiques, et qu’il aimait les expliquer, il a choisi de devenir indépendant, et de donner des cours particuliers de mathématiques à domicile. Il a monté sa société, HenricMaths, et exerce dans la ville de Toulouse.

François a toujours aimé voyager, en particulier en Asie. Il avait fait de nombreux voyages, avec des amis, mais à partir de 2004, il s’est mis à voyager seul. Vietnam, Laos, Birmanie, puis Cambodge. L’été 2007, lors d’un premier séjour au Cambodge, il a rencontré Moni et Pheng, à Kampot, qui sont devenus ses filleuls. Depuis, il séjourne deux mois par an au Cambodge, dans les familles de ses filleuls, qui sont tous les deux mariés et ont des enfants. Il parle Khmer et donne même des cours de mathématiques au Cambodge ! Il a le projet de s’y installer quand il prendra sa retraite, dans quelques années.

Un énoncé de maths en Khmer
Un énoncé de maths en Khmer

 

 Quel est ton plus ancien souvenir de mathématiques ?

J’ai toujours aimé les mathématiques, depuis mon plus jeune âge.
Le plus ancien souvenir, c’est à l’école primaire. Je me souviens des résolutions de problèmes qu’on faisait, en posant les opérations, et en expliquant la démarche. Par exemple « on achète quatre cahiers, on donne dix francs au marchand, il nous rend deux francs, quel est le prix d’un cahier ? »  C’était chouette, amusant, j’aimais bien. Ce n’était pas le problème concret qui m’intéressait, le prix d’un cahier on s’en moque au bout du compte, mais c’était le fait de faire des opérations, de poser des opérations.

Un autre souvenir marquant, je crois que c’est en seconde, où le premier cours de maths c’était « les espaces vectoriels ». Oh ! Ça c’était curieux, ça m’a fait drôle. J’ai découvert un monde encore plus étonnant, encore plus abstrait, bizarre. Mais ça m’a plu. Et encore maintenant l’algèbre c’est ce qui me plait le plus.

Il y a une chose extrêmement importante à expliquer, c’est que j’ai bénéficié de l’enseignement des mathématiques modernes en sixième.  Alors ça, ça a noyé tout le monde, sauf deux ou trois par classe. C’était l’année du passage aux « maths modernes », y compris pour les professeurs. Il y a eu une grande réunion au collège pour nous expliquer que le principe des mathématiques avait changé, que l’on allait passer aux mathématiques modernes. Les professeurs étaient perturbés, les élèves encore plus. J’ai eu droit à la géométrie nouvelle, où les droites c’était des ensembles, on dessinait des patates au tableau. Les droites parallèles c’était des patates disjointes. Moi ça m’a amusé. Bizarre comme droite, mais pourquoi pas ».

A et B sont des droites parallèles...
A et B sont des droites parallèles… (Dessin By Stephan Kulla (User:Stephan Kulla) – Own work, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=14978640)

 

 

 

Est-ce que tu as un souvenir « d’illumination mathématique », où tu te dis « ouah, ça c’est vraiment super ! »

En seconde, quand j’ai rencontré les espaces vectoriels. Je me suis d’abord dis, c’est quoi ce truc, les vecteurs avec des flèches, ceux qu’on voyait au collège, ils ont disparu ? Et après ça m’a plu. C’étaient des maths encore plus abstraites. Quand j’ai compris, j’ai vraiment beaucoup aimé.

Quelle est la place des maths dans ta vie quotidienne ? Les problèmes de ta vie, les abordes-tu comme un problème de maths ?

C’est mon métier, déjà. Je pense que les maths occupent une grande place dans ma façon de raisonner. Je suis matheux. Mais, en même temps c’est difficile pour moi de savoir si j’aborde les choses spécifiquement. Comme je ne connais pas la façon de raisonner des autres, en fait je ne sais pas. Pour autant, je n’ai pas l’impression de considérer les problèmes ou les questions de ma vie comme un problème de maths. Je suis capable de prendre des décisions irraisonnées, sans réfléchir. Ça je l’ai fait souvent, (rires). J’ai parfois une façon de raisonner impulsive, intuitive. Face à un problème, je ne raisonne pas mathématiquement, je n’analyse pas.

Est-ce que tu fais des maths pour tes loisirs ? Fais-tu des jeux mathématiques ?

Oui, pas très souvent mais oui. Cet été au Cambodge, j’ai fait les sujets de concours d’écoles de commerce. C’était un peu pour mes étudiants, mais c’était surtout pour mon plaisir. Sinon, je ne l’aurais pas fait. Les jeux mathématiques, pas beaucoup non. Un petit peu quand j’en vois, mais je ne cherche pas à en faire.

Est-ce que tu lis des ouvrages de vulgarisation mathématique, des livres de maths ?

Oui, je lis beaucoup de choses sur internet. Récemment j’ai lu un article sur l’intégrale de Lebesgue. Un cours en fait. J’ai regardé d’un peu plus près. Je n’ai pas tout compris, parce que je ne l’ai pas travaillé, mais je l’ai lu. En fait, j’ai dû repenser à l’intégrale de Lebesgue, en faisant des sujets de concours. C’était déroutant, mais ça m’a plu. Ça m’a plus parce que ça m’a montré tout ce qu’il y a en plus que je ne connais pas. Mais je ne l’ai pas approfondi.

Quand j’ai donné des cours particuliers au Cambodge, j’ai également dû retravailler certaines parties du cours de maths. Au programme, ils ont des choses que nous n’avons pas en France et que j’ai un peu oubliées, les coniques par exemple. Je m’y suis replongé. J’ai lu beaucoup de choses sur les coniques.

Comment ça se passe au Cambodge, ton rapport avec les maths ?

Quand je suis là-bas, je suis dans un monde très différent et en particulier un monde dans lequel les maths n’ont aucune existence. Les gens que je fréquente ne connaissent rien aux maths. Ils savent à peu près faire des additions, mais c’est tout. Quand je donne des cours aux élèves, il ne faut pas leur expliquer le fond du problème, ça ne les intéresse pas ; ils bachotent. Les maths ça leur donne mal à la tête, c’est pire qu’en France. Le programme de maths du bac cambodgien, c’est le programme qu’on avait nous il y trente ans. Mais ils font des maths sans rien démontrer. C’est juste calculatoire. Ils appliquent des formules. Ils sont capables de calculer des intégrales monstrueuses, mais n’ont pas de question du type « démontrer que… ».

Des maths dans l'indifférence du public
Des maths dans l’indifférence du public…

 

Quel est ton mathématicien préféré ?

Je pense à Evariste Galois. Il n’est pas très connu, enfin pas du grand public. Son histoire me plait, il est mort en 1832, suite à un duel, à vingt ans (une histoire d’amour qui aurait mal tournée) et pendant la nuit avant de mourir, il a écrit son testament mathématique. Les mathématiciens ont mis plus de cinquante ans à comprendre ce qu’il avait trouvé, tellement c’était en avance sur son temps ! C’est le côté romantique de son histoire qui me plait.

Evariste Galois
Evariste Galois

Quelques informations sur Evariste Galois ici.

 

Peux-tu me parler d’une équation ou d’une formule que tu aimes bien ?

Il y en a plusieurs, à différents niveaux. Il y a bien sur le théorème de Fermat, mais j’aime bien la formule d’Al Kashi, parce que c’est une généralisation du théorème de Pythagore. Tout le monde connait le théorème de Pythagore, en tout cas le nom, mais le grand public ne connait pas Al Kashi. Alors que c’est encore plus fort, le théorème de Pythagore n’en est qu’un petit cas particulier.

C’est une très jolie formule, symétrique.

Formule d'Al-Kashi
Formule d’Al-Kashi

 

Comment définirais-tu les maths ?

Un jeu. Pour moi les maths c’est un jeu. Le côté jeu c’est encore amplifié avec la découverte des espaces vectoriels. On a des règles, mais on joue. Parfois dans la scolarité les règles du jeu changent mais ce n’est pas grave.

(Par exemple on apprend qu’un carré est toujours positif, puis un jour on nous parle d’un nombre i, dont le carré vaut -1)

Ce que j’aimais particulièrement ce sont les exercices dans lesquels on nous définit un nouvel objet et qu’on démontre des choses avec cette nouvelle notion. Ça, ça me plait justement parce qu’il y a de nouvelles règles du jeu.

Qu’est-ce que tu réponds aux élèves ou aux personnes qui te disent ne pas aimer les maths, que les maths ça ne leur sert à rien ?

Ça dépend si ce sont des élèves ou si ce sont des gens dans la vie de tous les jours. Pour les élèves, avant le bac, je leur dis qu’ils doivent avoir le bac, et qu’ils doivent en passer par là. Je n’essaye absolument pas de les convaincre que c’est bien de faire des maths.

Les autres non plus je n’essaye absolument pas de les convaincre. Si quelqu’un me dit que les maths ça ne lui sert à rien, je le reconnais. Je dis « oui d’accord. On peut très bien vivre sans les maths ». Au Cambodge, ils vivent très bien sans les maths. Enfin, pas très bien, mais c’est une autre histoire.

Est-ce qu’à toi les maths servent pour ton développement personnel, ton équilibre personnel ? Est-ce qu’il y a des moments dans ta vie où c’était compliqué par exemple, difficile, et où les maths t’ont apporté du réconfort ?

Ah oui, à moi les maths ça me sert beaucoup. Ça me structure. Pendant les moments difficiles, je faisais des maths pour me changer les idées, mais aussi pour me structurer. Les maths c’est carré. C’est juste ou c’est faux. C’est rassurant.

Tu envisages de prendre ta retraite au Cambodge, est-ce que tu imagines continuer à faire des maths là-bas ?

Je sais pas, il est possible que je ne fasse plus du tout de maths. J’imagine très bien une vie sans maths.

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu veux ajouter ?

Ce que les gens ne savent pas, les non-matheux en tout cas, c’est qu’en maths il y a énormément plus de choses qu’on ne sait pas faire que de choses qu’on sait faire. Quand je dis aux gens qu’il y a des chercheurs en maths, ils répondent « Ah bon, mais ils cherchent quoi ? Qu’est-ce qu’il y a à chercher encore ? »

Les maths c’est un jeu, carré, très structuré, mais ouvert. Ce n’est pas fini. Et ça c’est bien que ce ne soit pas fini. Il y a encore tout un monde à découvrir.

Le chat de Philippe Geluck
Le chat de Philippe Geluck

 

 

Les mathématiques sont infinies!
Les mathématiques sont infinies!