Les Maths méditent : Mathématiques et développement personnel

Publié le 29/10/2015

Pour justifier l’étude des mathématiques, pour répondre à la question de l’utilité des mathématiques, généralement il est fait référence aux découvertes scientifiques, aux objets technologiques, à la compréhension des lois de la physique. Galilée a dit « le grand livre du monde est écrit en langage mathématique », et plus proche de nous,  le physicien Max Tegmark, « l’essence du monde est mathématique ».
Donc étudier les mathématiques, c’est comprendre le monde.

Soit, tout cela est vrai et important.

Mais je souhaite dans cet article, explorer un peu en quoi les mathématiques peuvent contribuer au développement personnel de l’individu, en quoi l’étude des mathématiques peut apporter des réponses et des solutions concernant la vie de chacun. Quelles sont les qualités et les compétences développées par la pratique des mathématiques, qui pourront être réinvesties dans d’autres domaines ?

Une qualité qui me parait essentielle en mathématiques, et qui peut être utile dans tous les domaines, est le sens de l’observation.
Pour appliquer une règle de calcul, ou un théorème, il faut d’abord identifier la situation, et pour cela observer.
Par exemple pour penser à développer (x+1)² à l’aide de l’identité remarquable (a+b)²=a²+2ab+b², il faut identifier que c’est bien de la même forme. Inversement, pour penser à écrire x²+4xy +4y² comme (x+2y)², il est nécessaire de reconnaître le motif « a²+2ab+b² ». Cela fonctionne un peu comme une reconnaissance de motifs, de formes. Il est important d’être en situation de vigilance, d’éveil, pour identifier ces motifs, repérer quel outil on va pouvoir utiliser (en mathématiques, les outils sont les définitions, les théorèmes, les formules). Il est évidemment primordial de connaître ces motifs, sinon, impossible de les reconnaître. Autrement dit, oui, il est indispensable de connaître son cours, et les formules. Au passage, cela entraîne la mémoire, et ça aussi, c’est important dans tous les domaines.

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Des motifs colorés africains

Faire des mathématiques est –ou devrait être- une activité créatrice. Cela ne parait peut-être pas évident aux élèves, anciens et actuels, qui n’ont pas poursuivi un cursus approfondi en mathématiques. La stratégie adoptée au lycée est en effet plutôt celle de « j’apprends par cœur les exercices types » ou « madame, mais ça on ne l’a pas fait en cours ! ». C’est un peu l’inverse du proverbe qui dit « ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » (Mark Twain), qui donnerait ici « ils ne croyaient pas qu’ils en étaient capables alors ils ne l’ont pas fait ».
La créativité, en mathématiques comme en musique (je vous recommande la discussion sur youtube entre Cédric Villani et Karol Beffa ici  ), ou comme dans tout domaine artistique et /ou scientifique, reste une activité mystérieuse. Néanmoins, il est possible d’en esquisser quelques pistes : en particulier le sens de l’analogie. Sens de l’analogie qui commence aussi avec le sens de l’observation. Faire un lien entre deux choses différentes, mais dans lesquelles on a remarqué un point commun, purement formel parfois, et du coup, appliquer une idée d’un domaine dans ce nouveau domaine : on crée.
Quand je parle d’activité créatrice, je ne pense pas uniquement aux chercheurs, qui inventent, ou découvrent de nouveaux théorèmes, de nouveaux concepts. Chacun à son niveau, peut avoir une activité créatrice en mathématiques. A chaque fois que l’on résout un problème que l’on n’a jamais vu, jamais fait, on crée. (Même si d’autres l’ont déjà résolu avant nous.)
L’activité créatrice, c’est ce moment d’illumination, qui arrive parfois par hasard, et où tout se met en place. C’est une expérience très valorisante, on se sent vivant, cela donne confiance en soi.

Faire des mathématiques amène à se poser une question essentielle, que l’on devrait se poser régulièrement : pourquoi est-ce que je peux affirmer ce que j’affirme ? Pourquoi est-ce vrai ? Dans quel cadre je travaille ? Quels sont mes hypothèses ? Est-ce que la question a un sens ici ?
J’ai discuté récemment avec des adultes, me parlant de leurs souvenirs de mathématiques, en particulier du fameux « i²=-1 », (les nombres complexes ou imaginaires, plus d’info ici ). Ils se sont sentis trahis, parce qu’on leur avait répété « qu’un carré est toujours positif » et voilà que le carré de « i » est un nombre négatif ! Sauf que dans ce nouvel environnement, les nombres complexes, les termes « positif » et « négatif » n’ont tout simplement pas lieu d’être. Cela ne trahit donc en rien la théorie précédente. Par contre dans le monde des nombres réels, l’équation x²+1=0 n’avait pas de solution, maintenant dans ce nouvel environnement elle en a deux. Quelles possibilités nouvelles va-t-on rencontrer ?

Faire des mathématiques est un voyage, une exploration de mondes nouveaux. On est confronté à la question de l’autre, de l’inconnu. Cette rencontre avec « l’inconnu » permet d’en apprendre plus sur qui on est soi-même : est-ce que l’on est déstabilisé par la perte des repères, ou au contraire, est-ce qu’on est enchanté qu’un monde nouveau s’ouvre à nous ? Est-ce qu’on est aventurier ou casanier ? Comment réagit-on quand on est confronté à quelque chose « d’étrange, d’étranger » ? Observer ses réactions est toujours enrichissant.

L’activité mathématique permet aussi de mettre en place des stratégies pour pallier ses faiblesses : parlons de ces fameuses « fautes d’étourderies ». Que peut-on y faire ?  Il y a par exemple tout un arsenal de vérifications, ou bien on peut se « raccrocher » à une situation connue, etc.  Concrètement, si on sait que l’on fait des erreurs « d’étourderies » quand on résout une équation du second degré, ou une équation différentielle, ou quand on inverse une matrice, faire une rapide vérification sur un brouillon permet de retrouver confiance en soi. Dans la vie pratique cela peut donner quelque chose comme « j’oublie facilement mes rendez-vous, alors je les note sur un agenda », ou « je réponds souvent vivement alors j’attends un peu avant de réagir », « je suis souvent en retard, alors je prends plus de marge », etc.
Donc, connaître ses points faibles, les accepter, se mettre des garde-fous, ce sont des conseils classiques en développement personnel. On peut expérimenter leur efficacité en faisant des mathématiques.

Faire des mathématiques c’est également être toujours centré et vigilant sur le but à atteindre. La question qui se pose ici est : « qu’est- ce que je veux faire ? Quel résultat je veux obtenir ? ». A partir de cette question, on peut se demander par exemple quel résultat intermédiaire est nécessaire pour y arriver, de quoi on a besoin pour y arriver, transformer un problème complexe en plusieurs problèmes plus simples. Apprendre à y aller « étape par étape ».
Une de mes élèves me demande « comment je peux faire pour montrer que c’est une bijection ? » Je lui demande de réfléchir aux « outils » dont elle dispose (à savoir théorèmes, propriétés, etc.). Elle me répond immédiatement « Il y a le théorème de la bijection ». « Ah, en voilà une idée qu’elle est bonne… »
La démarche est similaire à celle du coaching, les questions sont quasiment les mêmes : quel est mon but ? De quoi j’ai besoin pour y arriver ? Quelles sont mes ressources, où trouver des ressources ?

La métaphore de la canne à pêche et du poisson, chère à Vincent Lehnardt s’applique également ici aussi. (Il s’agit du fameux proverbe chinois).

« Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour.
Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours. »

Apprendre à faire des mathématiques, c’est apprendre à pêcher, c’est-à-dire à pouvoir aborder tous les problèmes, faire face à des situations nouvelles. Malheureusement, il me semble que dans l’enseignement du lycée, on gave plutôt les élèves de poissons.

Faire des mathématiques développe aussi l’esprit critique : il ne s’agit pas de prendre les affirmations pour argent comptant. Il faut toujours vérifier, argumenter. Pour moi, être mathématicien, c’est avoir l’esprit libre. Il n’y a pas de dogme, tout doit être démontré. Personne ne peut dire « c’est comme ça et j’ai raison ». Il faut justifier ses affirmations.
Cela me fait penser au proverbe bouddhiste « le bonheur n’est pas au bout du chemin, le bonheur est le chemin ». En mathématiques aussi, ce n’est pas le résultat qui compte, mais la manière d’y arriver.

Le bonheur n'est pas au bout du chemin, le bonheur est le chemin.
Le bonheur n’est pas au bout du chemin, le bonheur est le chemin.